Des enfants émiettés
Nous nous appuyons sur un constat partagé par l’ensemble des acteurs et partenaires ayant travaillé de près ou de loin à la naissance de ce projet, à savoir que bon nombre des jeunes pris en charge dans les dispositifs de la protection de l’enfance, lorsqu’ils arrivent à leur majorité, ne sont pas prêts à faire face aux attentes et injonctions de l’environnement. En effet, la plupart des jeunes faisant l’objet d’un placement se vivent comme responsables de leur situation, pour la majorité d’entres-eux, ils ont été placés, déplacés et re-placés à plusieurs reprises, sans comprendre ce qu’il leur arrivait et sont en perte de repères affectifs et sécurisants. Ce sont des jeunes qui se définissent pour certains par leurs manques et qui, dès lors, se construisent une identité négative. Cela peut générer en eux de la culpabilité, de la dévalorisation et surtout une mauvaise image de soi, ce qui explique le fait qu’ils répètent des conduites d’échec, qui les confortent dans l’image négative d’eux-mêmes et les amènent à se mettre sciemment en situation d’exclusion. Certains spécialistes de la protection de l’enfance parlent d’enfants émiettés, ces enfants aux mains de dizaine de personnes (administration sociale, éducateurs, juges… enfants déracinés, tiraillés, morcelés). Ils soutiennent l’idée que l’enfant est amené à quitter sa famille car il n’y a pas ou plus sa place, alors on le place: «L’enfant placé est un enfant qui n’a pas de place, qui n’a plus sa place nulle part. Le placement qu’il subit est en fait un déplacement qui provoque un changement radical de place. C’est un placement qui en fait déplace, car il fait perdre au sujet la place qu’il avait pour le mettre autre part, alors que le plus souvent il n’avait rien demandé, et ne désirait pas cette place qu’on lui donne, qu’on lui impose.» (Abels Eber, 2000).
La question qui se pose alors est de savoir quelle place les jeunes peuvent-ils prendre alors qu’ils vivent de nombreuses ruptures suite aux mesures de placement souvent reconduites à plusieurs reprises et à différents endroits. Ces jeunes présentent dés lors la caractéristique d’être très résignés et fragilisés par les multiples séparations.
Des troubles du comportement, un frein à l’apprentissage et à l’estime de soi
Les situations de souffrance ou de révolte liées aux difficultés du contexte familial entraînent chez ces jeunes des troubles du comportement qui s’expriment dans la relation à eux-mêmes, dans la relation aux autres, et dans leur relation à l’environnement. Certains manifestent un rejet du contexte institutionnel dans lequel ils se trouvent placés et n’acceptent pas l’autorité des adultes ni les contraintes de la vie en collectivité. Ces problèmes de comportement, qui sont avant tout d’ordre psychologique, ont une incidence sur toutes les dimensions du parcours, auxquels peuvent venir se heurter toutes les actions entreprises. Les jeunes manifestent une tendance à se sentir responsables de leurs manques, des situations d’échec et de ruptures qui les ont conduit parfois jusqu’au placement. Ils ont d’eux-mêmes une image dévalorisée et ne croient pas en leur capacité de réussir, n’ayant pas connu d’expériences tangibles de succès. Le manque de confiance et d’estime de soi constitue un frein à l’apprentissage, à la prise d’initiative, à l’élaboration de projet, au parcours vers l’autonomie.
Un Mal à être, une santé fragilisée
Les jeunes qui vivent ces difficultés nous les disent également au travers de leurs corps. Les problèmes d’addiction (alcool, drogue..) mais aussi des difficultés d’ordre psychiques sont la manifestation de ce mal être qui orchestre leur quotidien. Ils peuvent constituer des freins dans l’accompagnement qui interagissent avec toutes les autres dimensions de leur construction identitaire.
Le projet d’accueil au sein du «Lieu» peut permettre de répondre à ces problématiques.
Nous accueillerons ces jeunes en leur offrant la possibilité de pouvoir venir se poser, afin de se construire ou se reconstruire, en leur proposant de nouvelles modalités d’accompagnement, afin de prévenir ces parcours en forme d’impasse.
Pour se faire, nous travaillerons sur leurs compétences, via le support théâtral et culturel, afin de les aider à reconstruire une image positive d’eux-mêmes. En effet, il est essentiel pour tout individu de penser qu’il peut transformer son histoire et pour cela, la prise en charge éducative doit amener les professionnels à aider le jeune à entrer dans une démarche de construction d’un projet de vie qui soit le sien.